Switch Groove retrace les luttes en musique
Un podcast réalisé en mai 2020 en réaction à la mort de George Floyd
La fin de crise sanitaire est devenue le théâtre de l’injustice sociale. Le monde été témoin d’une inhumaine exécution qui a ravivé les plaies non soignées de l’histoire. La reprise progressive a cédé sa place aux mouvements de révolte.
Dans ce climat d’indignation et de remise en question, Switch Groove réalise le mix We Should All Be Angry. Une injonction à l’implication. Un exutoire au flot d’émotion. Plus de deux heures de musique qui retracent plusieurs décennies de luttes…
Il est impossible d’accepter le présupposé de l’histoire, car il a pour fondement l’incompréhension profonde par l’Amérique de la nature de la haine entre les Noirs et les Blancs. La haine est là, assurément, même si j’utilise désormais ce terme avec grande précaution et seulement à la lumière des effets et des résultats de cette haine. Mais elle n’est pas égale des deux côtés, car elle n’a pas les mêmes racines. L’argument est peut-être très léger, mais les Noirs n’ont pas les mêmes raisons de haïr les Blancs que les Blancs de haïr les noirs.
La racine de la haine des Blancs, c’est la terreur, une terreur sans fond et sans nom, qui se focalise sur les Noirs, émerge et se concentre sur cette figure effroyable, cette entité qui ne vit que dans leur tête. Mais la racine de la haine des Blancs, c’est la rage. l’homme noir ne déteste pas tant le Blanc qu’il ne souhaite le voir s’écarter de son chemin et, plus encore, de celui de ses enfants. Quand l’homme Blanc commence à avoir dans l’esprit du Noir le poids que le Noir a dans l’esprit du Blanc, l’homme noir devient fou. Et quand ce dernier sombre, il ne le fait pas en poussant des cris de terreur, mais en hurlant de rage. Un Noir sait que deux hommes enchaînés doivent apprendre à fouiller, manger, péter, chier, pisser, trembler et dormir ensemble : ils sont indispensables l’un à l’autre, et tout peut arriver entre eux. Quiconque a connu cela le sait.
– James Baldwin
Je t’écris dans ta quinzième année. je t’écris car cette année tu as vu Eric Gardner se faire étrangler et tuer pour avoir vendu des cigarettes ; car tu sais désormais que Renisha McBride a été abattue parce qu’elle avait appelé à l’aide, que John Crawford a été tué parce qu’il déambulait dans les rayons d’un grand magasin. Tu as vu des hommes en uniforme assassiner, de leur voiture, Tamir Rice, en enfant de douze ans qu’ils avaient juré par serment de protéger. Tu as vu des hommes dans ce même uniforme tabasser Marlene Pinnock, une grand-mère, sur le bas-côté d’une route. Et tu sais à présent – si jamais tu l’ignorais encore – que les services de police de ton pays ont été dotés du pouvoir de détruire ton corps.
Peu importe que cette destruction soit le résultat d’une réaction malencontreuse et excessive. Peu importe qu’elle soit le fruit d’un malentendu. Peu importe qu’elle découle de la stupidité de certaines lois. Si tu vends des cigarettes sans en avoir l’autorisation légale, ton corps peut être détruit. Si tu manifestes de la colère contre ces gens qui essaient de t’enfermer, si tu empruntes un escalier trop sombre, ton corps peut être détruit. Les auteurs de cette destruction auront rarement des comptes à rendre. Pour la plupart, ils percevront leur retraite. cette destruction n’est que la forme superlative d’une domination dont les prérogatives incluent la fouille, la détention, le passage à tabac et l’humiliation. Tout ceci est une histoire banale pour les Noirs. Tout ceci est de l’histoire ancienne. Personne n’est tenu responsable.
Il n’y a rien de purement diabolique chez ces exterminateurs. pas plus que dans le monde actuel. Ces gens qui détruisent mettent tout simplement en pratique les lubies de notre pays, en interprétant au pied de la lettre son patrimoine et son héritage. Regarder cette réalité en face est douloureux. mais notre lexique tout entier – relations interraciales, discriminations, justice raciale, profilage racial, privilège blanc et même suprématie blanche – ne sert qu’à oblitérer l’expérience viscérale du racisme, le fait qu’il détruit des cerveaux, EMPÊCHE DE RESPIRER, déchire des muscles, éviscère des organes, fend des os, brise des dents. Ne détourne jamais les yeux de cette réalité. Rappelle-toi toujours que la sociologie, l’histoire, l’économie, les graphiques, les tableaux, les statistiques finissent tous par s’abattre sur le corps avec une violence inouïe.
– Ta-Nehisi Coates
Nous partons d’un tout autre présupposé : pas plus qu’il n’y a de « nature », il n’y a de « société ». Arracher les humains à tout le non-humain qui tisse, pour chacun d’entre eux, son monde familier, et réunir les créatures ainsi amputées sous le nom de « société » est une monstruosité qui a assez duré. Partout en Europe, il y a des « communistes » ou des socialistes pour proposer une issue nationale à la crise : sortir de l’euro et reconstituer une belle totalité limitée, homogène et ordonnée, telle serait la solution. Ces amputés ne peuvent s’empêcher d’halluciner leur membre fantôme. Et puis, en matière de belle totalité ordonnée, les fascistes auront toujours le dessus.
Pas de société, donc, mais des mondes. Pas de guerre contre la société non plus : livrer la guerre à une fiction, c’est lui donner chair. Il n’y a pas de ciel social au-dessus de nos têtes, il n’y a que nous et l’ensemble des liens, des amitiés, des inimitiés, des proximités et des distances effectives dont nous faisons l’expérience. Il n’y a que des nous, des puissances éminemment situées et leur capacité à étendre leur ramification au sein du cadavre social qui sans cesse se décompose et se recompose. Un grouillement de mondes, un monde fait de tout un tas de mondes, et traversé donc de conflits entre eux, d’attractions, de répulsions. Construire un monde, c’est élaborer un ordre, faire une place ou pas, à chaque chose, à chaque être, à chaque penchant, et penser cette place, la changer s’il le faut. A chaque surgissement de notre parti, que ce soit par une occupation de place, une vague d’émeutes ou une phrase bouleversante taguée sur un mur, se diffuse le sentiment que c’est bien de “nous“ qu’il y va, dans tous ces endroits où nous sommes jamais allés.
C’est pourquoi le premier devoir des révolutionnaires est de prendre soin des mondes qu’ils constituent. Comme l’ont prouvé les zapatistes, que chaque monde soit situé ne le prive nullement d’accès à la généralité, mais au contraire le lui procure. L’universel, a dit un poète, c’est le local moins les murs. Il y a plutôt une faculté d’universalisation de ce qui s’expérimente en tout point du monde. Il n’y a pas à choisir entre le souci apporté à ce que nous construisons et notre force de frappe politique.
Notre force de frappe est faite de l’intensité même de ce que nous vivons, de la joie qui en émane, des formes d’expressions qui s’y inventent, de la capacité collective à endurer l’épreuve dont elle témoigne. Dans l’inconsistance générale des rapports sociaux, les révolutionnaires doivent se singulariser par la densité de pensée, d’affection, de finesse, d’organisation, qu’ils parviennent à mettre en oeuvre, et non par leur disposition à la scission, à l’intransigeance sans objet ou par la concurrence désastreuse sur le terrain de la radicalité fantasmatique.C’est par l’attention au phénomène, par leurs qualités sensibles qu’ils parviendront à devenir une réelle puissance, et non par cohérence idéologique.
L’incompréhension, l’impatience et la négligence, voilà l’ennemi.
Le réel est ce qui résiste.
– comité invisible