Hommage à Foxx Boogie : la maman de M.O.P
Foxx Boogie (1968 – 2024)
Le 2 aout 2024, il y a un mois jour pour jour, Sheritha Cook aka Foxx Boogie, ancienne manageuse du mythique groupe M.O.P s’en est allée après 15 ans de lutte contre la sclérodermie (maladie auto-immune qui dans 90% des cas, laisse 5 années d’esperance de vie après diagnostic).
Un depart à une date fixée par elle-même. Une héroine de la culture qui a combattu et vécu selon ses propres termes jusqu’à la toute fin. Une activiste à qui l’on doit l’avenement d’une des formations les plus importantes du rap. Handle Ur Business et How About Some Hardcore ? sont d’ailleurs des hommages directs à celle qui était la figure maternelle des tout débuts de Billy Danze et Lil’ Fame.
Vice, en prélude d’une interview en 2004, la décrivait en ces termes :
M.O.P. sont les plus grandes brutes de l’industrie musicale, les Ted Nugents du hip-hop qui agitent leurs flingues, et probablement les seuls artistes dont la discographie entière peut être résumée en trois mots (Je te tue). Mais quand Billy Danze et Lil’ Fame chantent « Handle Ur Business », ils rendent secrètement hommage à Fox, la seule personne qui a réussi à leur faire entendre raison ces 10 dernières années.
Elle a travaillé jour et nuit, supervisant chacun de leurs mouvements, assurant tous leurs concerts, trimbalant leurs sacs dans les deux sens lors de croisières transatlantiques (parce qu’ils n’aiment pas prendre l’avion), et s’assurant que le moins de personnes possible soient blessées partout où ils vont. En gros, on ne peut pas parler à M.O.P. sans parler à Fox.
La femme en survêtement blanc dans le clip, c’est bien elle ! Reconnue et respectée par tous, cette guerrière a contribué à asseoir la réputation de M.O.P dans les rues de Brownsville et au-delà. Comme beaucoup de vétérans du hip-hop, elle était un modèle de résilience qui n’a malheureusement pas eu la reconnaissance internationale qu’elle méritait.
La triste nouvelle de son décès a été annoncée le 4 août par Kid Capri sur Instagram .
Je suis allé à l’hôpital pour te voir hier soir, ce que j’ai vu m’a fait sortir de la chambre en pleurant. Il y a environ une semaine, tu as demandé que les gens viennent te voir avant le 2 août, c’est à ce moment-là que tu voulais être débranché du respirateur.
Hier, c’était le 2 août, et j’aurais eu tellement de regrets si je n’étais pas venu, car aujourd’hui tu es parti. Tu t’accrochais encore hier soir après qu’ils t’aient débranchée de la machine ; c’était très dur de te laisser dans cette chambre d’hôpital, sachant que je ne te reverrais plus jamais.
Mais mon souvenir de toi durera pour toujours.
– Kid Capri
S’en est suivie une vague d’hommages de la part des personnes qui l’ont connue et côtoyée. Une vague d’hommages qui, malheureusement, est restée confinée au cercle de la presse hip-hop américaine.
Non, elle fait partie de la famille, que Dieu la bénisse. Je suis vraiment désolé, a commenté Fat Joe.
Je l’ai vue mardi à l’hôpital. Elle a écrit « JE T’AIME » sur un morceau de papier. Je vais l’encadrer. C’est une perte immense pour nos vies. Je t’aimerai toujours Foxx, a écrit DJ Premier.
En l’absence de relais français de son histoire, malgré l’importance de sa contribution à la culture, la rédaction partage la traduction d’un article signé Kyra Raquel Gurney, paru le 19 janvier 2016 sur le blog THE INC.NYC . Il résume en partie ce qu’elle a représenté et son combat quotidien. Pour les anglophones, LGTDZ vous invite à consulter la version originale.
Les Vétérans du Hip-Hop
Foxx, ancienne manager du groupe de hip-hop M.O.P., se tenait à l’entrée d’une salle de boxe du Bronx, surveillant la caisse de la collecte de fonds. Autour d’elle, d’autres vétérans de l’industrie hip-hop étaient réunis pour soutenir les familles d’enfants autistes.
La musique R&B adoucissait l’atmosphère, mais Foxx restait vigilante, rappelant à un homme de payer l’entrée. Il y a dix ans, personne n’aurait osé la défier. Connue pour sa poigne de fer, elle avait fait respecter le groupe M.O.P., allant jusqu’à intimider les radios et affronter les videurs.
Mais à 47 ans, atteinte d’une maladie auto-immune, Foxx a dû se réinventer. Incapable de suivre le rythme des tournées, elle est passée de la gestion de grosses sommes d’argent à la surveillance d’une caisse de dons.
Comme elle, beaucoup dans cette salle ont dû trouver un second emploi. L’industrie hip-hop, malgré ses succès fulgurants, offre rarement une stabilité financière à long terme. Le professeur James Braxton Peterson souligne que de nombreux artistes ont consacré leur vie au hip-hop sans en tirer une grande compensation financière.
C’est particulièrement vrai dans le Bronx, berceau du hip-hop, où ceux qui ont contribué à son essor peinent aujourd’hui à vivre de leur passion. Alors que des rappeurs comme P. Diddy et Jay Z ont bâti des empires, d’autres, comme Foxx, se retrouvent confrontés à une retraite prématurée sans sécurité financière.
Le Bronx en 1978 : un terreau fertile pour le hip-hop
Lorsque Foxx, 10 ans, arrive dans le Bronx en 1978, le hip-hop est en pleine éclosion. Le quartier, marqué par la pauvreté et la violence, est en pleine mutation démographique. L’autoroute Cross-Bronx Expressway a défiguré le paysage urbain, entraînant chômage et fermetures d’écoles. Des propriétaires peu scrupuleux incendient leurs propres immeubles pour toucher les assurances, et le Bronx devient tristement célèbre pour ses quartiers en flammes.
Dans ce contexte de désolation, des milliers d’immigrés, notamment des Caraïbes, apportent leur culture et leur musique. Les jeunes DJs s’approprient les techniques du « toasting » jamaïcain et les mixent avec la musique populaire des jeunes afro-américains et latinos. Le hip-hop naît de cette fusion, offrant un moyen d’expression aux jeunes exclus du système éducatif traditionnel.
Foxx grandit en fréquentant les fêtes de quartier animées par les DJs locaux. Le hip-hop, le breakdance et le graffiti font partie intégrante de son adolescence. Après le lycée, elle travaille pour la Zulu Nation, un groupe qui promeut la culture hip-hop. Un soir, elle est remarquée pour sa capacité à se défendre et rejoint l’équipe du groupe M.O.P.
Elle commence comme garde du corps, puis gravit les échelons jusqu’à devenir manager de tournée. Elle se forge une réputation de femme forte dans un milieu masculin, imposant le respect par sa détermination et son franc-parler.
Les années 90 marquent l’âge d’or du hip-hop hardcore. M.O.P. connaît le succès et Foxx, en tant que manager, participe à cette ascension fulgurante. Elle apparaît dans les clips du groupe, enregistre des intros et gère les aspects logistiques et financiers des tournées.
Mais en 2009, une maladie auto-immune met un terme brutal à sa carrière. Le rêve de Foxx de devenir découvreuse de talents s’évanouit.
Même sans coup du sort comme la maladie de Foxx, faire carrière dans le hip-hop sur le long terme est difficile.
Flores, alias Sugar Ray, a grandi dans le milieu hip-hop. Il a commencé en transportant du matériel pour les DJs locaux, puis a travaillé avec plusieurs artistes. Mais avec l’arrivée des enfants, il a troqué la promotion musicale pour la stabilité d’un emploi de chauffeur de bus.
Les managers et producteurs ne sont pas les seuls à faire face à des perspectives incertaines. De nombreux rappeurs pionniers doivent aujourd’hui trouver un emploi stable, souvent à cause de contrats désavantageux signés avec les maisons de disques dans leur jeunesse. Les pères fondateurs du hip-hop, ceux qui ont créé un mouvement mondial pesant des milliards, se retrouvent à lutter pour joindre les deux bouts.
Mais les pratiques douteuses des maisons de disques ne sont pas le seul facteur. Les relations informelles, comme le fait d’engager des amis pour promouvoir sa musique, sont courantes dans le milieu hip-hop. Si cela permet de nourrir la scène locale, cela peut aussi exclure certains acteurs des bénéfices lorsque le mouvement prend de l’ampleur.
Ces pratiques ont laissé de nombreux acteurs du hip-hop du Bronx sans filet de sécurité financière. Peu ont pensé à l’avenir, aux enfants et aux responsabilités. Flores et Thomas ont créé Aquarius Boyz en 2009 pour soutenir la communauté hip-hop, organisant des collectes de fonds pour les familles touchées par l’autisme, le cancer et la violence domestique.
Thomas participe également à la création d’un musée du hip-hop dans le Bronx, qui devrait ouvrir ses portes l’année prochaine. Il voit ce musée comme un moyen de célébrer l’héritage du hip-hop et de soutenir les artistes pionniers en les employant comme guides.
« Nous devons soutenir notre communauté », explique Flores. « Nous allons collecter nos propres fonds et les réinvestir dans la communauté, car le hip-hop l’a profondément marquée. »
Foxx, en route pour récupérer un don pour la collecte de fonds, se remémore son passé.
Deux jours avant l’événement, Foxx traverse Harlem au volant de sa Chrysler. Elle regarde un de ses anciens clips sur YouTube. La femme énergique à l’écran, en survêtement ample, contraste avec celle, amaigrie et marquée par la maladie, qui conduit. Mais la détermination de Foxx reste intacte. Elle peste contre le GPS, comme elle le faisait autrefois contre les radios qui refusaient de passer la musique de M.O.P.
Arrivée au studio de DJ Premier, elle le retrouve avec émotion. Il lui remet des t-shirts et casquettes dédicacés pour la collecte. Le contraste entre sa vie actuelle et les tournées passées est saisissant. Foxx se sent parfois démunie, mais elle sait que le soutien de M.O.P. est sincère. Elle a consacré 25 ans de sa vie au groupe, et même si l’argent se fait rare, elle ne leur en veut pas.
Sous la pluie, coincée dans les embouteillages, Foxx repense à sa maladie. Elle ne s’apitoie pas sur son sort, elle veut profiter du temps qu’il lui reste pour faire le bien autour d’elle. Elle se faufile dans la circulation dense, klaxonnant un chauffard. « À New York, il faut prendre ce qui se présente, sinon on te passe devant », dit-elle. C’est ce qu’elle a appris en tant que femme dans l’industrie musicale.
Bloquée à un feu rouge, elle voit un bus touristique passer. Spontanément, elle crie aux passagers d’acheter l’album de M.O.P. Difficile de savoir si on l’a entendue, mais Foxx éclate de rire. « C’est comme ça qu’on faisait la promotion avant », dit-elle, avant de se lancer dans une nouvelle anecdote. Malgré les épreuves, Foxx garde son esprit combatif et son humour. Elle continue d’avancer, fidèle à elle-même et à ses racines dans le hip-hop.
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