Àbáse – Awakening
Àbáse – Awakening : un album magistral
Avant ce projet, le terme « entre tradition et modernité » était l’objet de blagues dans le milieu rédactionnel musical. Une expression rangée dans la même catégorie que les « musicalement votre » en signature de mail ou l’emploi des mots « hip-hop » et « rap » à la suite dans la même phrase. Comme toute règle que l’on croit absolue, une exception est venue redorer le blason de cette suite de mots, tombée dans la désuetude. Cette exception s’appelle Awakening, c’est le nouvel album d’Àbáse, qui fait suite à Laroye et le déjà classique Invocation.
Ce nouveau LP fut également l’un des événements musicaux les plus marquants de la saison, lors du festival Jazz à Vienne 2024. Une sortie mondiale qui s’est faite le 5 juillet à minuit pile en live via la Carte Blanche LGTDZ. Les personnes présentes à ce concert eurent le privilège d’être les premieres au monde à découvrir l’album en live et en physique.
Passé ce moment magique et à l’approche du mois de septembre, une traduction des les lignes de Jeff Mao sur l’album et les images de cet inoubliable concert à la frontiere des 4 et 5 juillet 2024, offertes par Gregory Rubinstein (Collectif les Flous Furieux)…
La science nous informe que, même dans le ventre de notre mère, nous sommes capables d’entendre les voix de nos parents ; et après la naissance, au fur et à mesure que nous développons notre conscience et notre mémoire, nous sommes apaisés par ces sons familiers.
En tant qu’êtres humains essayant de donner un sens à notre temps sur cette planète, nous pouvons imaginer avec espoir un cheminement similaire vers la « prochaine » phase de l’existence : un cheminement qui ne nécessite aucune recherche intellectuelle, seulement une conscience intuitive de notre condition présente, liée à notre capacité innée à écouter.
Szabolcs Bognár a été à l’écoute de ce cheminement.
Ces dernières années, le producteur/multi-instrumentiste derrière Àbáse a été particulièrement attentif au cycle de la vie dans toutes ses définitions biologiques et spirituelles, alors que ses parcours personnel et musical se sont croisés de manière profonde :la réalisation d’Àbáse, de l’étincelle d’imagination à la réalité, son immersion dans la foi Candomblé, un déménagement de sa Hongrie natale à Berlin, le mariage, la paternité, et l’inévitable interrogation de la mortalité qui survient lorsqu’un être cher disparaît.
– Jeff Mao
Enregistré aux mythiques Brewery Studios à Berlin entre le 23 et le 27 mai 2022, et sorti chez Oshu Records & Analogue Foundation, Awakening est une fusion audacieuse de l’Afrobeat, du folk hongrois, des rythmes Yoruba, de la house, de la techno, du hip-hop et de l’improvisation modale..
Les hauts, les bas et tout ce qui se trouve entre les deux l’ont poussé vers une sorte de renaissance créative.
Alors que le précédent album d’Àbáse, Laroyê, a été initié par cinq mois d’enregistrement au Brésil dans un style résolument DIY, il a finalement été complété par des centaines d’heures de post-production minutieuse effectuée sur l’ordinateur portable de Szabi.
Bien que satisfait des résultats, il était épuisé et avait besoin d’une nouvelle approche. « Je voulais jouer, capturer le moment et faire le moins d’édition possible », se souvient-il
Pendant l’arc sinueux des pauses et des redémarrages de la pandémie, il a revisité avec dévotion un classique familier de Coltrane, s’inspirant de son intense et brûlante dévotion, comparable à celle d’un moine.
Son désir de se lancer dans un processus d’enregistrement analogique, résolument live a été renforcé lorsqu’il a trouvé non seulement un partenaire, mais aussi un catalyseur en la personne d’Erik Breuer, ingénieur accompli, fondateur des Brewery Studios de Berlin et figure clé d’Analogue Foundation, la coalition internationale dédiée aux vertus des expériences sonores de haute qualité.
– Jeff Mao
Le projet mené par notre camarade hongrois Àbáse aka Szabogs Bognar réunit un line-up exceptionnel : Ziggy Zeitgeist à la batterie, Andras Koroknay, Ori Jacobson, la flutiste hongroise Fanni Zahar, Eric Owusu et Erno Hock. On retrouve également des collaborations prestigieuses avec Wayne Snow, Cecil Brooks et Knoel Scott du Sun Ra Arkestra, ainsi que Youka Snell du groupe Mitsune.
Enregistré en quatre jours dans les chaleureux studios Brewery avec un ensemble de proches collaborateurs, Awakening fusionne les diverses influences musicales et références d’Àbáse (l’Afrobeat classique de Lagos, le folk traditionnel hongrois, les rythmes Yoruba, la house et la techno, le hip-hop, etc.) avec l’exquise improvisation modale suscitée par l’introspection de Szabi.
Composé principalement de premières et deuxièmes prises avec un minimum d’overdubs, le niveau d’intimité atteint ici va au-delà de la profondeur des vibrations globales (bien qu’elles soient en abondance).
On peut également le ressentir dans les détails de « Menidaso (My Hope) », véritable offrande imprégnée d’Afro aux forces invisibles du destin – lorsqu’une coda ample (et une invocation en Twi du percussionniste/chanteur Eric Owusu) s’estompe, laissant juste le bourdonnement grave d’un ampli.
Ou dans des accents sonores comme le rire de la jeune fille de Szabi, Flóra, qui accompagne « Shining » – un hommage à J Dilla qui emprunte son titre et son sens du rythme complexe à l’œuvre du regretté génie de la production.
– Jeff Mao
Awakening est un album magistral, l’un des plus importants de notre époque, qui parvient à réellement et sincerement capturer l’essence de traditions musicales ancestrales tout en y insufflant une vision novatrice. On y découvre des relectures de chansons folkloriques hongroises, de chants traditionnels yoruba, et même un titre dans le plus pur esprit de Sun Ra, avec la participation de Cecil Brooks et Knoel Scott, deux membres du Sun Ra Arkestra.
Le thème le plus prévalent est celui du continuum, à la fois musicalement et conceptuellement.
Des phrases récurrentes imprègnent une belle interprétation d’une chanson folklorique hongroise traditionnelle empreinte de nostalgie, « Gyászba Borult Isten Csillagvára » (« Le Château étoilé de Dieu est tombé dans le chagrin »).
Plus précisément, la ligne de contrebasse d’Ernő Hock sur et autour de laquelle la batterie de Ziggy Zeitgeist (et ses « aaahhs » spontanés et gutturaux), le ténor d’Ori Jacobson et le piano de Szabi s’affrontent avec autant d’intensité que de sensibilité.
Sa composition complémentaire est « Home », un original également inspiré par la musique traditionnelle hongroise, mais traité comme une magnifique valse pour sextet de jazz qui évoque la gravité émotionnelle inhérente à la contemplation de ses racines.
La beauté et la tension sont en parfait équilibre sur « Bloom (Flóra) », baptisé d’après l’interlocutrice rieuse susmentionnée.
Le piano de Szabi établit une phrase mélodique descendante de quatre notes répétée sur un fond de cordes soutenues, créant un cocon sonore dans lequel les percussions de Ziggy et Eric, la flûte de Fanni Zahár, le saxophone ténor d’Ori et le Mini Moog gargouillant d’András Koroknay complètent le thème principal à différents intervalles.
Bien qu’Awakening ne comporte pas de morceau titre en soi, celui-ci capture bien l’esprit de l’album, avec des descripteurs appropriés également applicables au voyage d’une vie : merveilleux, mystérieux, mélancolique, et terminé avant que vous ne vous en rendiez compte.
– Jeff Mao
Plus qu’un album, le bien-nommé Awakening est l’aboutissement d’années d’experiences de vie, de reflections internes et de rencontres humaines.
Awakening d’Àbáse n’est bien sûr ni le premier enregistrement (ni entité) de musique basée sur l’improvisation à adopter le nom Awakening (des antécédents bien-aimés d’Ahmad Jamal à Black Jazz Records parmi ceux ayant établi le précédent).
Pourtant, le choix du titre semble tout aussi approprié étant donné les thèmes cycliques soulignés et explorés, servant de reconnaissance du chemin parcouru par ceux qui sont venus avant.
En parlant d’aspirations cosmiques, Szabi et Àbáse se rapprochent plus que jamais de la connexion avec leurs influences sur « Sun Is Away », morceau improvisé né de façon improbable : une session déconcertante, tard dans la nuit, où tout le monde était épuisé et prêt à s’arrêter (avec au moins un membre du groupe au bord de l’endormissement derrière le pied de micro).
« Mais pour une raison quelconque, nous ne l’avons pas fait », se souvient Szabi.
« Puis notre contrebassiste, Ernő, m’a lancé ces mots : ‘Sun Ra’. C’est devenu notre point de référence. J’ai juste ri, et nous sommes partis. »
La pièce commence comme une conversation brusque entre le piano, la basse et les percussions qui invite progressivement la participation du reste du groupe à mesure qu’elle prend de l’ampleur et de l’intention au cours de ses neuf minutes.
Comme le destin l’a voulu, après avoir enregistré la première prise, Szabi a eu l’occasion de jouer le morceau et d’expliquer son origine à Knoel Scott et Cecil Brooks du Sun Ra Arkestra.
Exprimant leur enthousiasme, les aînés ont prêté leurs voix au chœur céleste exprimant le refrain du titre au point culminant du morceau, complétant l’enregistrement et fournissant à Awakening sa pièce maîtresse.
« Un véritable moment de boucle complète », dit Szabi, « La musique la plus pure et la plus honnête de l’album. » Peut-être aussi un signe – qu’alors que nous avançons dans ce monde à l’écoute de la voie à suivre, ce qui nous attend pourrait aussi être à l’écoute en retour.
– Jeff Mao
Alors que l’album continue de se faire adouber par la presse spécialisée et acclamer par la critique. Il reste moins d’une centaine de vinyles sur le millier mis en circulation… Aux personnes qui lisent ces lignes : il n’est pas trop tard pour faire partie de l’histoire.
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