Love Will Find A Way : Pharoah Sanders hommage
L’hommage de Switch Groove à Pharoah Sanders
Je pense que la majorité des musiciens est intéressée par la vérité. Ils doivent l’être, parce qu’exprimer une chose musicale est une vérité. Si vous vous affirmez musicalement et si c’est une affirmation valable, ce sera vrai en tant que tel. Si vous jouez quelque chose de bidon, eh bien, vous savez que c’est quelque chose de bidon.
Tous les musiciens se battent pour atteindre autant que possible une certaine perfection, et la vérité est là-dedans, vous voyez. Ainsi, afin de jouer ce genre de choses, de jouer dans le vrai, vous devez vivre dans le vrai autant que possible…
Et si un gars est religieux, et s’il est à la recherche du bon, qu’il veut vivre une vie de bonté – il pourra alors se considérer comme religieux, ou pas.
John Coltrane in A. Kahn, A Love Supreme : The Story Of John Coltrane’s Signature Album (2003)
Les mots de Switch Groove
En janvier 2020, l’année précédant la sortie de son dernier album Promises né d’une collaboration avec le musicien et dj anglais Sam Shepherd alias Floating Points et le London Symphony Orchestra, Pharoah Sanders interrogé par Nathaniel Friedman exprime son insatisfaction face à sa musique et son son ainsi que son inlassable quête pour jouer beau et juste.
“Sometimes on my horn, a couple of notes, I’m feeling satisfied with it, but the rest of the notes just is not sounding right. So I’m still working on that.“
Les jours qui ont suivi le décès de Pharoah Sanders, le 24 septembre 2022, j’ai été impressionné par le flot d’hommages, de mots, de remerciements sur les réseaux sociaux. Evidemment, mon réseau est constitué d’une bonne partie de jazz fans et ce n’est qu’évidence qu’une telle perte suscite de nombreuses réactions. Pourtant, j’ai noté que ces hommages ne provenaient pas exclusivement de « connoisseurs » jazz mais de personnes aux cultures musicales multiples et plurielles, toutes rassemblées par le seul mot qui devrait qualifier le son ordonnancé : la musique.
Parce que voilà, il s’agit bien de musique. D’un musicien majeur des XXème et XXIème siècle qui aura marqué de son empreinte non pas simplement le jazz mais la musique. Je ne déroulerai pas l’itinéraire biographique de Pharoah Sanders, vous trouverez cela facilement sur le web. Au lendemain de son départ, il me faut pourtant revenir à la source de sa quête musicale, en 1965, lorsqu’à la suite de l’enregistrement de son premier album – Pharoah -, John Coltrane, qui vient lui-même d’enregistrer son album manifeste A Love Supreme, le remarque et l’engage. Le prophète Coltrane décède deux ans plus tard, sans pouvoir finaliser l’enregistrement de Cosmic Music, son dernier album inachevé que sa femme Alice Coltrane et son partenaire Pharoah Sanders clôtureront pour lui. “Lord Help Me To Be“.
Dans cet empressement à vouloir nommer et catégoriser, on apposera plus tard le terme spiritual jazz à cette branche ouverte par John Coltrane et Pharoah Sanders. Moi-même ai-je employé très longtemps ce terme pour qualifier une forme de jazz emprunte de spiritualité, de profondeur mystique, de résonance collective et politique, de poésie cosmique.
Néanmoins, comme beaucoup de qualificatifs musicaux et artistiques, ce terme fausse une réalité historique que Raphaël Imbert dans son ouvrage Jazz suprême, restitue avec brio et éloquence. C’est que la spiritualité dans le jazz ne peut être limitée à une branche que l’on nommerait spiritual jazz. C’est que la spiritualité dans le jazz recouvre une problématique plus vaste, celle de l’interpénétration entre questions spirituelles, expressions artistiques, création d’un soi individuel et collectif afro-américain, et luttes sociales, culturelles et politiques aux Etats-Unis. C’est que le spirituel dans la société étasunienne n’a pas grand chose à voir avec le spirituel du Vieux Monde. Parce qu’il s’agit simplement d’amour, d’un amour qui doit trouver son chemin.
“Jouer ce que l’on est, jouer selon la vie que l’on mène, jouer afin de manifester sa profonde humanité“ tente ainsi Raphaël Imbert pour saisir l’acte spirituel enserré dans l’acte musical. Ecouter Pharoah Sanders, c’est fondamentalement se mesurer à cette vitalité. Tout simplement.
L’expression d’une vitalité, tantôt douce et subtile, tantôt criante et trébuchante. Une vitalité exprimée comme une urgence, l’urgence d’être pour devenir, de devenir pour être. Nul besoin d’ailleurs de poser des mots, de théoriser ou de s’évertuer à « comprendre » ces sons et cette musique. Les albums de Pharoah Sanders sont autant d’invitations à sentir et cheminer, au plus profond de soi et dans le même mouvement au plus près du cosmos. Transcendant et immanent.
Il y a des musiques de leur temps, il y a des musiques d’avant garde, il y a des musiques périssables. Il y a des musiques intemporelles parce qu’elles préservent, année après année, un certain caractère insaisissable, générant à chaque écoute un nouveau niveau de perception.
Si vous vous offrez le temps et la disponibilité d’esprit pour écouter Pharoah Sanders, voilà donc ce que vous vous offrirez : la possibilité d’un voyage perpétuel, sans début ni fin.
La construction du set
La sélection est construite de manière chronologique, depuis l’enregistrement d’un live à Seattle en 1965 aux côtés de John Coltrane jusqu’à dernier enregistrement de Pharoah Sanders en compagnie de Floating Points et du London Symphony Orchestra.
Je tenais également à intégrer des reprises de ces thèmes par des musiciens contemporains ainsi que des collaborations, démontrant si besoin que son oeuvre n’a de cesse d’être jouée et relue.
Set enregistré par Arnaud Simetière aka Switch Groove le 8 octobre 2022 à l’atelier Musique pour l’Imaginaire.
Pour cet enregistrement, ont été utilisés deux platines vinyles Technics SL-1200 MK2, un lecteur Cd Sony CDP XE220, un mixer Bozak AR-4 et un enregistreur Sound Devices MixPre-6 II
Tracklist
- John Coltrane feat. Pharoah Sanders – Out Of This World (part 1) (recorded in 1965) [Live In Seattle, Impulse!, 1971]
- John Coltrane – Lord Help Me To Be [Cosmic Music, Impulse!, 1967]
- Pharoah Sanders – Upper Egypt and Lower Egypt [Tauhid, Impulse!, 1967]
- The Gondwana Orchestra feat. Dwight Trible – The Creator Has A Master Plan [Colors, Gondwana records, 2018, cover of original theme released in Karma in 1969]
- Pharoah Sanders – Summun Bukmun Umyun [Summun Bukmun Umyun – Deaf Dumb Blind, Impulse!, 1970]
- Pharoah Sanders – Hum-Allah-Hum-Allah-Hum-Allah [Jewels Of Thought, Impulse!, 1970]
- Matthew Halsall & The Gondwana Orchestra – Journey In Satchidananda [Gondwana records, 2018, cover of original theme released with Alice Coltrane in Journey In Satchidananda in 1971]
- Pharoah Sanders – Astral Traveling [Thembi, Impulse!, 1971]
- Mark De Clive-Lowe & Friends – Thembi [Freedom (Celebrating The Music Of Pharoah Sanders), Soul Bank Music, 2022, cover of original theme released in Thembi in 1971]
- Pharoah Sanders – Black Unity (part 1) [Black Unity, Impulse!, 1971]
- Pharoah Sanders – Love Is Everywhere [Live in Paris (1975), Transversales Disques, 2020]
- Pharoah Sanders – Love Will Find A Way [Pharoah, India Navigation Company, 1976]
- Pharoah Sanders – Love Is Here [Love Will Find A Way, Arista, 1978]
- Build An Ark – You’ve Gotta Have Freedom [Peace With Every Step, Kindred Spirits, 2003, cover of original theme released in Journey To The One, 1980]
- Pharoah Sanders & Norman Connors – Casino Latino [Beyond A Dream, Arista/Novus, 1981]
- Pharoah Sanders – Nigerian Juju Hilife [Rejoice, Theresa records, 1981]
- Pharoah Sanders – You’ve Got To Have Freedom [Dopeness Galore, 2007, reissue of original track released in Africa, 1987]
- Maleem Mahmoud Ghania & Pharoah Sanders – Peace In Essaouira [The Trance Of Seven Colors, Zehra, 2019, reissue of original track released by Axiom in 2004]
- Pharoah Sanders – Kazuko [Save Our Children, Verve records, 1999]
- Kahil El’Zabar’s Ritual Trio – Pharoah’s Song [Africa N’da Blues, Delmark records, 2000]
- Gigi – Tew Ante Sew [Illuminated Audio, Time Capsule, 2019, reissue of original track released by Palm Pictures, 2003]
- Floating Points, Pharoah Sanders & The London Symphony Orchestra – Movements 4 & 5 [Promises, Luaka Bop, 2020]
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